Oeufs au fipronil - nouveau scandale d'Etat en Belgique
Un scandale sanitaire sans précédent vient d'éclater en cet été 2017. Des poules pondeuses arrosées par un pesticide interdit : le fipronil. Des oeufs et produits dérivés distribués par millions à travers toute l'Europe et jusqu'à la Chine. Potentiellement au-delà. Consommés. Durant des années. Son épicentre se situe dans notre pays, le royaume de Belgique. Scandale sanitaire, il est avant tout la conséquence de notre incapacité à réguler et contrôler notre système économique. Scandale sanitaire, il est également devenu scandale d'Etat de par l'incapacité de nos dirigeants à le gérer.
Vous avez du mal à vous y retrouver ? On fait le point.
Le contexte
Un secteur sous pression
Dans l'après-guerre, le "baby-boom" et l'amélioration sans précédent du niveau de vie des populations européennes ont conduit nos autorités à satisfaire de nouvelles demandes alimentaires. L'industrialisation et la rationalisation déjà en cours du secteur agricole fut renforcée. Concernant le sujet qui nous occupe, il s'agissait de fournir massivement la population en viande et dérivés, autrefois faiblement consommés par les classes populaires. Dès les années '50, le secteur aviaire fut l'objet d'une attention particulière et de profondes transformations. Il suffit pour l'expliquer de rappeler qu'un poulet atteignait sa maturité pour l'abattage et la consommation en quelques mois (à peine quelques semaines aujourd'hui, "grâce" aux sélections génétiques des décennies passées) et que les oeufs constituent une source rapidement renouvelable d'un produit à haute teneur en protéines.
Une course constante à l'industrialisation du secteur et à "l'amélioration" de la volaille fut donc très tôt engagée.
A celà, on peut rajouter la crise globale touchant l'agriculture européenne ne survivant de longue date que grâce aux subsides de la Politique Agricole Commune et diverses mesures protectionnistes, incapable de concurrencer la production des pays extra-européens, Amérique du Sud en tête. La concurrence grandissante entre pays intra-européens ne faisant qu'accentuer cette fragilité. Le secteur aviaire ne fait pas exception. Et les marges de survie financière d'une exploitation sont très étroites...
Au travers de divers moyens, en particulier par la sélection génétique, le secteur améliore donc constamment sa productivité en minimisant ses coûts de production :
- Accélérer la vitesse de croissance des animaux
- Augmenter le poids des poulets destinés à la consommation de viande
- Accélérer le rythme de ponte des poules pondeuses
- Diminuer les coûts des structures et conditionnements
- Diminuer la quantité et la qualité des nutriments nécessaires à l'élevage
- Diminuer les taux d'infections et d'infestations des élevages
Moduler très marginalement un seul de ces facteurs conduit à des gains ou des pertes de productivité très importants pour un élevage de taille industrielle. Pouvant faire la différence entre un élevage florissant... et une faillite.
Le fipronil
Le fipronil est un pesticide organique de synthèse, appartenant à la classe des phénylpyrazoles, créé par la firme française Rhône Poulenc en 1987. Sa licence d'exploitation appartient actuellement au groupe industriel allemand BASF. A noter qu'il résiste aux températures de cuisson utilisées tant en cuisine que dans l'industrie alimentaire.
Il est considéré par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme "modérément toxique" pour l'Homme. Sa toxicité démontrée concerne principalement le système nerveux et le système reproducteur et de façon moindre le foie, les reins et la thyroïde. Il n'a pas été démontré cancérigène. L'OMS a établit en 2003 des seuils de sécurité (considérés comme sûrs pour la consommation alimentaire) variables selon l'aliment en cause. Ces seuils (MRL ou niveau résiduel maximum) sont pour les produits qui nous concernent les suivants :
- Oeufs : 0,02 mg/kg
- Viande de volaille : 0,01 mg/kg
- Abats de volaille : 0,02 mg/kg
Il est à noter que ces seuils sont "absolus" quant à des aliments particuliers. Une publication antérieure de l'OMS considérait, elle, des seuils d'ingestion totale, toutes sources confondues, pour l'Homme :
- Exposition chronique : 0,0002 mg x masse corporelle / jour (soit une dose totale de 0,012 mg/ jour pour un Homme de 60 kg)
- Exposition aiguë : 0,003 mg x masse corporelle (soit une dose totale de 0,18 mg pour un Homme de 60 kg)
L'Union Européenne a quant à elle établit en 2016, à partir des avis de sa propre agence de santé, son propre seuil de sécurité sanitaire "absolu", MRL, à 0,005 mg/kg pour les oeufs et viandes de poulets. Ce qui correspond au seuil de détection des laboratoires et donc concrètement à une interdiction d'usage de fait.
Son usage est de toute façon explicitement prohibé par décret dans toute l'Union Européenne pour tous les élevages destinés à la consommation humaine (incluant donc les oeufs et viandes de volailles). Il s'avère que paradoxalement, sous ce prétexte, le fipronil ne fait pas partie des dosages de routine des laboratoires contrôlant ces produits. Nous y reviendrons. Son usage est par ailleurs limité en ce qui concerne les produits végétaux, seul le traitement de certaines semences étant autorisé. Dans ce dernier cas cependant, d'autres MRL sont d'application et, là, sont contrôlés.
Hors de l'industrie agro-alimentaire, le fipronil est largement utilisé en médecine vétérinaire et pour l'éradication des parasites dans les bâtiments.
Tout comme l'OMS, l'Union Européenne considère par ailleurs des seuils d'ingestion totale, toutes sources confondues, pour l'Homme :
- Exposition sub-aiguë à chronique (ADI) : 0,0002 mg x masse corporelle / jour (soit une dose totale de 0,012 mg/ jour pour un Homme de 60 kg). Soit le même seuil que celui de l'OMS.
- Exposition aiguë (ARfD) : 0,009 mg x masse corporelle (soit une dose totale de 0,54 mg pour un Homme de 60 kg... ou 0,72 mg pour un Homme de 80 kg). Soit un seuil fixé à une valeur trois fois plus élevée que celui de l'OMS.
Les "poux rouges"
Le "pou rouge" des poulets, Dermanyssus gallinae, est un acarien hématophage, ectoparasite de nombreuses espèces animales mais infestant principalement les gallinacés. Il est extrêmement résistant, pond 100 à 200 oeufs par semaine pour un cycle de reproduction d'une à deux semaines, résiste à la congélation, ne séjourne sur son hôte que pour le piquer et peut survivre 8 à 9 mois sans se nourrir.
Il est retrouvé dans tous types d'élevages, artisanaux ou industriels. La promiscuité étant cependant le principal facteur favorisant sa prolifération, il se retrouve plus fréquemment dans les élevages industriels et les élevages de poules pondeuses. Il s'agit actuellement du parasite le plus répandu des élevages de poules pondeuses, 80% d'entre eux étant estimés contaminés dans le monde.
Il influe sur la santé des animaux infestés par différents mécanismes : anémies (hématophagie), inoculations de microbes pathogènes (virus, bactéries, endoparasites), surinfections de lésions de grattage,...
Les répercussions concrètes sur un élevage de poules infesté sont :
- La perte de poids des individus peut atteindre 10 à 20%
- Le taux de mortalité augmente de l'ordre de 100 à 400%
- Le taux des pontes diminue de l'ordre de 10%
Pour ces raisons, il est devenu un facteur limitant des productions aviaires et constitue un problème économique majeur pour les éleveurs.
De par ses caractéristiques, il est extrêmement difficile à éradiquer, particulièrement dans les élevages industriels. Dans ces conditions, son traitement nécessite non seulement un vide sanitaire mais l'application de pesticides toutes les une à deux semaines... fréquemment durant plusieurs mois. Outre le coût du traitement, le lieu d'élevage est de ce fait inutilisable durant toute sa durée.
Des solutions sans pesticides (éradication par le feu, terre de diatomée, utilisation de prédateurs naturels) existent également mais leur efficacité semble moindre et non adaptées à la taille des élevages à visée commerciale.
D'un Etat belge déliquescent à un "Etat voyou" ?
Un Etat déliquescent
Deux tendances ont contribué à la déliquescence de l'Etat belge. La plus évidente est celle des infra-nationalismes sur base ethnico-linguistique. Nos éternelles "querelles communautaires", s'immisçant dans tous les aspects de notre vie éco-politique. Nous avons subi six réformes constitutionnelles depuis 1970, la dernière datant de 2014, toutes multipliant les lieux de pouvoirs locaux et affaiblissant l'Etat fédéral. Aujourd'hui la Belgique compte ainsi six gouvernements différents, 53 ministres, 467 parlementaires, 14029 conseillers, et d'innombrables autres fonctions totalisant 654055 mandats publics. Pour un pays de 11 millions d'habitants. Soit un mandat public pour 16 habitants. Une performance probablement mondiale.
La seconde, non spécifique à notre pays, est celle du libéralisme et de "l'austérité budgétaire". Afin de satisfaire aux nouveaux consensus libéraux et à la volonté de faire rembourser par les plus jeunes les dettes publiques contractées par les générations précédentes, les budgets publics se sont effrités et une incompréhensible intrication public-privé s'est développée. Au côté des véritables privatisations, ont été créées de multiples "sociétés publiques de gestion privées", "sociétés privées d'intérêt public" et diverses "associations". Ainsi en est-il de la plupart de notre myriade "d'intercommunales".
De ces politiques, souffrent deux principales victimes.
Tout d'abord Bruxelles. Son million d'habitants pèse peu face aux 6,5 millions de Flamands et même aux 3,5 millions de Wallons. Eternelle sacrifiée des négociations communautaires, elle s'est vue imposée un bilinguisme que sa population très majoritairement francophone ne pratique pas, un sous-financement touchant tous les domaines de l'action publique et, de fait, une délocalisation inter-régionale des emplois générés par son tissu économique. Deux chiffres suffisent à résumer son destin misérable : alors qu'elle pèse près de 20% du PIB national (pour 10% de la population), son taux de chômage dépasse le double du taux national. Fait unique pour une capitale européenne. En outre, son sous-financement dans toutes les sphères publiques (sociales, éducatives, policières,...) a des conséquences dommageables qu'il est difficile de ne pas rapprocher du rôle central qu'elle a fini par occuper dans les affaires liées au terrorisme international.
Ensuite, la performance de nos "services publics" (en ce compris les "sociétés publiques de gestion privée" ou "sociétés privées d'intérêt public", plus personne ne sait...). Comment agir avec efficacité au rythme des réformes de l'Etat ? Comment agir avec efficacité alors que divers organismes chevauchent ou se partagent des compétences ? Comment agir avec efficacité au travers de structures tellement opaques que même nos commissions parlementaires déclarent ne plus bien les comprendre ?
A la pointe de la "concurrence fiscale"
La "concurrence fiscale" que se mènent les pays, y compris au sein même de l'Union Européenne, est devenue un des problèmes majeurs minant la légitimité de nos social-démocraties contemporaines. Il est regrettable de constater qu'en la matière notre pays se distingue... très négativement. Ainsi, de tous les pays de l'OCDE, la Belgique est le pays où l'imposition moyenne sur les revenus du travail, salarié et indépendant, est la plus élevée. En parallèle, l'imposition sur les revenus des patrimoines est l'une des plus faibles et il n'existe virtuellement pas d'imposition sur les patrimoines eux-mêmes.
En outre, sous la coalition centriste dirigée par Di Rupo, le ministre libéral Didier Reynders a mis en place une première "amnistie fiscale" en 2003, permettant aux grands fraudeurs fiscaux résidant en Belgique de rapatrier quasi-impunément des patrimoines cachés du fisc. L'habitude de ces amnisties fut vite prise et une quatrième amnistie fiscale vient d'être mise en application cette année. La création dans des circonstances faisant aujourd'hui l'objet d'une instruction judiciaire (le "KazakhGate") des "transactions pénales" permet également certaines libéralités en la matière.
Même si pour d'autres raisons certains Etats, tels le Luxembourg ou la Suisse, restent pour elles plus "attractifs", ceci explique "l'exil fiscal" dans notre pays de nombreuses grandes fortunes françaises. Ceci explique également le fait que nombre de travailleurs belges aient fait le chemin inverse.
L'extrême-droite accède au pouvoir
L'année 2014 a été celle de la formation d'un gouvernement fédéral inédit à deux titres. Pour la première fois, ce gouvernement ne dispose pas d'une majorité au sein de la population francophone. Pour la première fois, la NVA en fait partie. Il faut malheureusement rappeler que ce parti, outre le fait de défendre l'ultra-libéralisme sur le plan économique, est un parti ultra-nationaliste flamand dont le président actuel a été un des dirigeants du mouvement néo-fasciste VNDK.
L'appartenance à l'extrême-droite de la NVA divise nos politologues. Il suffit cependant de rappeler qu'à peine quelques semaines avant de les inclure dans sa coalition, notre premier ministre Charles Michel déclarait dans La Libre Belgique... qu'il ne le ferait jamais au motif que "La NVA a franchit les frontières du racisme". Une négociation plus tard, la realpolitik avait raison de cette affirmation péremptoire. Le fait que Théo Francken, actuel ministre fédéral à l'asile et la migration, la veille même de sa nomination, rende publiquement hommage à un vieillard condamné pour collaboration avec le régime nazi n'y a rien changé.
Ceci a profondément affaibli la puissance de l'Etat fédéral de multiples manières, notamment dans ses rapports aux syndicats et aux entités fédérées francophones.
"L'Etat voyou ? Nous y sommes !"
Qu'il soit clair que tous les Etats violent constamment le droit national et international de multiples manières, plus ou moins consciemment. La Belgique n'a jamais fait exception. Cependant, ces dernières années ces infractions se sont multipliées et sont devenues pleinement assumées. On peut citer une extradition effectuée secrètement au mépris d'un arrêt du tribunal de première instance de Bruxelles puis du juge des référés, la violation régulière des droits élémentaires des prisonniers s'étant soldée par un mort et au mépris tant des décisions judiciaires belges que des condamnations des instances européennes, des ministres déclarant publiquement qu'ils ne respecteraient pas certaines lois existantes et n'appliqueraient pas les décisions de justice qui gêneraient leurs politiques, la création des "transactions pénales",...
Tout cela a conduit des membres émérites de notre magistrature à sortir de leur réserve en utilisant des termes extrêmement sévères à l'encontre de notre exécutif. Le plus haut magistrat du pays, Jean De Codt, premier président de la Cour de Cassation, n'hésitait ainsi pas à affirmer publiquement en mai 2015 "La Belgique devient un Etat voyou !". Quelques mois plus tard, Manuela Cadelli, présidente de l'Association Syndicale des Magistrats, portait le même jugement en déclarant "J'ai honte, chaque citoyen, tous, nous devons respecter la loi (...) Et bien nous avons des gouvernants qui s'en vantent [de ne pas respecter la loi] (...) Quand Jean De Codt a parlé d'Etat voyou, il avait raison, nous y sommes !"
De précédents scandales agro-alimentaires à l'instauration de l'AFSCA
Divers scandales ont touché l'industrie agro-alimentaire belge. Le premier à l'échelle nationale fut celui de la "mafia des hormones". A la fin des années '80 fut découvert que la production bovine belge était massivement contaminée par l'usage d'hormones de croissance, formellement interdit. Ce traffic s'avéra être en place depuis les années '70 et impliquait aussi bien des éleveurs que la complicité de vétérinaires privés, de fournisseurs et de détaillants. Au moment du scandale, il fut estimé que 25 à 50% de la production de viande bovine belge était contaminée. Alors que les autorités tentèrent de réagir, les trafiquants réagirent par la violence dans une relative impunité. De nombreux vétérinaires contrôleurs furent l'objet de menaces et/ ou violences physiques lors de leurs contrôles. La crise culmina par l'assassinat du vétérinaire inspecteur Karel van Noppen en février 1995 près de son domicile. Ses assassins seront retrouvés ultérieurement et condamnés à des peines allant de 25 ans d'emprisonnement à la prison à vie. La crise ne sera contrôlée que par l'adoption de nouvelles règles sanitaires (dorénavant toutes les bêtes d'un élevage où une fraude aurait été constatée pourront être abattues), lois pénales (permettant de sanctionner les trafiquants de 5 ans d'emprisonnement au lieu des trois mois prévus jusque là) et mesures sécuritaires (temporairement tous les vétérinaires contrôleurs furent accompagnés de gendarmes).
En 1997, un nouveau traffic agro-alimentaire d'importance, clairement crapuleux cette fois, fut découvert. Il s'agissait de revente de viandes bovines britanniques, alors frappées d'embargo, contaminées par le prion ("maladie de Creutzfeldt-Jakob variante) par des entreprises belges. Il fut avéré que les entreprises belges Tragex-Gel, déjà évoquée dans l'affaire de la "mafia des hormones" et Lefebvre avaient agis de concert pour acheter de la viande contaminée, trafiquer ses certificats et la revendre dans le monde entier. Le traffic a impliqué au moins 1600 tonnes de viande infectée. L'affaire s'est soldée par des peines allant de l'acquittement à 1 an d'emprisonnement et des amendes jusqu'à 4958 euros. Amendes dérisoires s'il en est... Le scandale fut d'autant plus grand qu'il ne fut pas découvert par les autorités sanitaires belges mais... par celles de la Commission Européenne. Que les patrons de Tragex-Gel aient été déjà été précédemment mis en cause précédemment ne fit qu'ajouter aux accusations d'incurie visant notre administration.
En 1999, la Belgique était secoué par un nouveau scandale sanitaire d'ampleur nationale: la crise des poulets à la dioxine résultant d'un mélange présumé accidentel d'huiles industrielles à de la graisse animale. La Belgique avait alors été pointée du doigt pour ne pas en avoir averti ses partenaires européens, ce qui lui a valu une condamnation en bonne et due forme de la Commission Européenne. Cette crise, ayant nécessité la destruction de plusieurs millions de poulets, s'est soldée financièrement par une perte d'environ 2% de PIB sur l'année. Perte restée essentiellement à charge du contribuable, l'Etat ayant "oublié" de se porter partie civile contre l'entreprise des frères Verkest au centre du scandale. L'impact sur la santé publique demeure quant à lui aussi méconnu que non reconnu. Les préoccupations principales des autorités furent alors de soutenir économiquement le secteur aviaire d'une part et de "restaurer une bonne image du pays à l'étranger" d'autre part, afin de maintenir nos exportations. Le Roi Albert II lui même fut mobilisé dans cette dernière tâche au travers de son discours de la fête nationale.
Une multiplication de scandales politico-financiers
Si l'année 2014 fut marquée par de violents conflits sociaux, sans précédent depuis 1961, à l'encontre de la nouvelle coalition gouvernementale de droite-extrême-droite, les années suivantes furent marquées par les scandales financiers touchant nos élites politiques. Corruption, népotisme, abus de biens sociaux, détournements de fonds, conflits d'intérêts, scandales fiscaux, mauvaise gestion, interférences dans la gestion médicale des CHU,... tous ces faits graves, intriqués aux réseaux de délinquance et de criminalité, se sont succédés et ont touché tous les "partis de pouvoir", la magistrature, l'administration et... jusqu'à la famille royale au travers du Kazakhgate. Cette multiplication ininterrompue de scandales n'a pas de comparaison en Belgique depuis les années '80, restées tristement célèbres sous le nom "d'années de plomb".
Les détailler dépasse le cadre de cet édito. A mes compatriotes il suffira de rappeler quelques mots : Publifin, Publipart, Kubla, Samu Social, De Decker, Charleroi, Chodiev, Brugmann, Nethys, Namur, FiscalsLeaks, Optima...
Les acteurs - Quelles responsabilités ?
D'emblée, il faut distinguer les responsabilités initiales, intéressant la justice, d'entrepreneurs privés motivés par l'argent et les responsabilités politiques, essentiellement secondaires à une communication défaillante.
Des entrepreneurs véreux
Les principaux responsables de ce scandale sont bien entendu des entreteneurs privés. Leurs motivations ne font aucun doute : la rentabilité et, in fine, le profit. Leurs responsabilités sont pénales (infractions commises et conséquences) et civiles (coûts totaux engendrés). Différents intervenants privés sont en cause, principalement les sociétés Poultry-Vision et ChickFriend, se renvoyant actuellement mutuellement la responsabilité. Une enquête judiciaire est en cours, il lui appartiendra d'établir les responsabilités des uns et des autres.
FarmaVet
FarmaVet est une Société Anonyme établie en Roumanie produisant du fipronil à usage agricole sous la dénomination fiprocid auprès de laquelle Poultry-Vision se fournissait.
Ses activités sont tout à fait légales et rien, actuellement, ne laisse présumer qu'elle ait eu connaissance de la destination de son produit.
La date des premières livraisons de fiprocid à Patrick Remijsen n'est pas connue, mais une facture établissant des ventes en mai 2016, au prix de 36 euros le litre, a été produite.
Poultry-Vision - Patrick Remijsen
Poultry-Vision alias Pro Farma alias Agro Remijsen créée en 2007 est une SPRL belge gérée par Patrick Remijsen dont l'objet social est la distribution de produits et services destinés aux soins des élevages de volailles. C'est cette société qui a servi d'intermédiaire pour fournir ChickFriend en fipronil en lui vendant un produit dénommé "fypro-rein". Comme mentionné ci-dessus, il est démontré que Patrick Remijsen se fournissait en fipronil auprès de FarmaVet depuis au moins mai 2016. Il n'est pas encore déterminé si Poultry-Vision a fourni auparavant d'autres entreprises de services que ChickFriend.
En outre, une facture adressée cette fois par Patrick Remijsen à ses partenaires de ChickFriend atteste de ventes de "fypro-rein" depuis au moins mars 2016, au prix de 122,80 euros le litre. Considérant que selon les informations actuelles, le "fypro-rein" n'est qu'un mélange de fipronil (acheté 36 euros le litre) dilué dans de l'eau avec des extraits de menthe, ceci laisse supposer une marge bénéficiaire énorme. De façon assez étonnante, cette facture mentionne une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 0% alors que la TVA s'appliquant aux pesticides en Belgique est normalement de 12%. S'agit-il d'une "fausse facture", d'une déclaration frauduleuse (on n'est plus à cela près) afin de bénéficier d'une exemption ou d'une niche fiscale inconnue du public ?
Enfin, la consultation des comptes de la SPRL Agro Remijsen (publiés par la Banque Nationale de Belgique) révèle une croissance spectaculaire de sa marge (+ 543%) et de ses bénéfices (+ 365 %) déclarés pour l'exercice comptable de 2015. Alors que les exercices précédents révélaient des données aussi stables que médiocres. Ses comptes pour l'exercice 2016 ne sont pas encore publiés. Les comptes privés de Patrick Remijsen ne sont évidemment pas publiés, protégés par le secret fiscal.
Suite au scandale et avant de se murer dans le silence, Patrick Remijsen a rejeté toute responsabilité, arguant qu'il n'était pas informé de la destination du produit, sur ses partenaires de ChickFriend. Ce mode de défense est très étonnant au vu de l'objet social même de son entreprise...
Le 10 août, on apprenait via une conférence de presse du parquet d'Anvers que le "patron de Poultry-Vision" (sans le nommer) avait été entendu par les autorités judiciaires au mois de juillet mais remis en liberté, sous conditions.
ChickFriend - Martin van de Braak et Mathijs Ijzerman
ChickFriend alias ChickClean est une société néerlandaise fondée en 2014 par deux jeunes entrepreneurs, Martin van de Braak et Mathijs Ijzerman. Ayant pour objet la vente de services destinés à la désinfection des élevages de volailles, ils prirent rapidement la lutte contre le poux rouge comme principal argument de vente. Leur produit phare, le "Dega-16" contenant du "fypro-rein" acheté à Poultry-Vision, permettant entre autres avantages une désinfection "miraculeusement efficace", plus rapidement et pour une bien plus longue durée. De ce fait, ils ont acquis un quasi monopole comme fournisseur dans ce domaine auprès des principaux éleveurs néerlandais et ont également réussi à s'implanter auprès d'éleveurs belges.
Les comptes des entreprises néerlandaises n'étant malheureusement accessibles que via paiement, il n'est pas possible de déterminer à quel point ce commerce fut florissant. La presse néerlandaise n'hésite cependant pas à parler de "success story".
Les avocats de ChickFriend rejettent toute responsabilité sur Poultry-Vision, arguant qu'ils n'étaient pas informés de la présence de fipronil dans le fypro-rein acheté à leur fournisseur. A quelques jours de la révélation de l'affaire, le site internet de ChickFriend a été supprimé, Martin van de Braak et Mathijs Ijzerman demeurent introuvables pour les journalistes, leurs téléphones ne répondent plus et van de Braak a vendu sa maison.
Le 10 août, on apprenait via le parquet néerlandais qu'une série de perquisitions avait été menées le jour même et qu'au terme de celles-ci, les "deux responsables de ChickFriend" (sans les nommer) avaient été arrêtés.
D'autres fournisseurs et intermédiaires ?
Les enquêtes judiciaires en cours s'attachent également à déterminer si d'autres fournisseurs, distributeurs et prestataires privés sont impliqués dans le trafic. Aucune information précise n'a encore été délivrée au public à ce sujet.
Les éleveurs
En première hypothèse, les éleveurs concernés semblent être des victimes. Rien ne laisse en effet supposer qu'ils aient eu connaissance de la présence de fipronil dans leurs pesticides. Ceux ayant accepté de témoigner jusqu'ici ont tous affirmé que les représentants de ChickFriend ont toujours refusé de leur communiquer la composition de leur "produit miracle", pour des raisons commerciales évidentes.
Cependant, au vu des pressions économiques s'exerçant sur le secteur agro-alimentaires et des mauvaises pratiques du secteur bien établies par le passé, cela aussi devra être déterminé.
Des agences de santé en sursis ?
Depuis les révélations, l'AFSCA est sous le feu de critiques émanant de toutes parts. Partis politiques d'opposition, associations de consommateurs, fédérations d'éleveurs, presse, gouvernement allemand,... tous dénoncent la gestion calamiteuse de l'affaire par l'agence de sûreté alimentaire belge. Seul le gouvernement belge prend actuellement faits et causes pour elle.
Bien sûr, personne ne songe à tenir l'AFSCA responsable d'actes délictuels privés ni de règles semblant insuffisantes. De celà, on ne peut que tirer des réflexions pour l'avenir. C'est sa communication qui fait l'objet de cette unanime réprobation. Le retard d'information au gouvernement belge. Le retard d'information aux autorités sanitaires et politiques des autres pays européens. Le retard d'information au public. Les informations parfois erronées, discutables ou contradictoires fournies.
Le mode de défense de l'AFSCA face aux parlementaires, appuyé par le ministre belge de l'agriculture, consiste essentiellement à souligner de putatifs manquements de son homologue néerlandais, la NVWA. Il est encore trop tôt pour juger de ces derniers.
Un "seuil de sécurité européen de 0,72 mg/kg" fantaisiste ?
Depuis le début de la crise, l'AFSCA a tenter de justifier son inaction d'une part par les procédures judiciaires en cours et d'autre part par le fait que le "seuil de sécurité européen" n'aurait pas été dépassé, ne nécessitant donc la prise d'aucune mesure de retraits. Ce seuil fixé à 0,72 mg de fipronil /kg d'oeufs contaminés, repris abondamment par les médias internationaux, n'est retrouvé dans aucune communication de l'UE. On retrouve en fait ce chiffre dans un avis de l'agence de santé allemande (BfR) émis à la demande du gouvernement allemand. Il est calculé à partir de l'ARfD.
Cette valeur n'a pas de sens au vu des informations dont nous disposons. Outre le fait que cette ARfD ne correspondant pas à celle de l'OMS est très discutable et que les considérations prises en compte par la BfR pour son calcul (cf Références) soient également discutables pour l'établissement de cette "norme", l'ARfD ne concerne que les expositions aiguës (exposition d'une journée). En aucun cas les expositions chroniques. Or, il est bien démontré que nous sommes dans le cas d'une exposition chronique de la population aux oeufs et produits dérivés contaminés au fipronil. Il est en effet établi que cette exposition a cours depuis plusieurs mois. Certains documents suggèrent même que cette durée s'étendrait à plusieurs années, ce qui reste à démontrer.
Or, une exposition chronique à un toxique nécessite une toute autre évaluation de risque qu'une évaluation aiguë. Pour le dire simplement : les doses nécessaires à atteindre un seuil de toxicité sont bien moindres. Il semble donc ici que la décision de se baser sur l'ARfD (0,009 mg x masse corporelle) et non pas l'ADI (0,0002 mg x masse corporelle) n'est pas cohérente ou, du moins, ne peut être comprise que sur base d'une évaluation initiale de la situation erronée.
En outre, l'ARfD est une dose totale (comme mentionné ci-dessus, il existe d'autres sources d'exposition au fipronil) et il est démontré par des documents produits en commission parlementaire par le député Nollet que l'AFSCA avait connaissance dès le 2 juin que ce fameux "seuil" avait de toute façon été dépassé (1,2 mg/kg = 1,2 ppm) au moins pour le premier résultat d'analyses connu.
Nous signalons par ailleurs avoir personnellement interrogé l'AFSCA sur la provenance et la signification de sa norme de 0,72 mg/kg. Aucune réponse ne nous fut accordée.
Un gouvernement irresponsable ?
Côté belge, de façon assez surprenante, la responsabilité politique n'a pas encore été publiquement abordée. Elle se pose pourtant. Tant pour le scandale lui même que pour la communication chaotique d'une agence fédérale et le silence du gouvernement jusqu'à la tenue de la commission parlementaire. Trois ministres sont principalement en cause : Willy Borsus (alors ministre fédéral de l'agriculture jusqu'à son parachutage récent comme ministre président de la Région wallonne), Maggie De Block (ministre fédérale de la santé) et Kris Peeters (ministre fédéral de la protection des consommateurs). Dans une moindre mesure, le nouveau ministre de l'agriculture fédéral, Denis Ducarme, endosse la responsabilité de la communication actuelle.
Kris Peeters et Willy Borsus s'obstinent à ne toujours pas s'exprimer sur le sujet. Willy Borsus, pourtant principal responsable politique de la question, a même été jusqu'à décliner "l'invitation" des parlementaires d'opposition à venir s'exprimer devant la commission parlementaire, laissant son successeur s'en acquitter.
En guise de communication gouvernementale, il semble que nous devions nous contenter de la comparution de Maggie De Block et Denis Ducarme devant le Parlement. Comparution décevante si ce n'est outrageante. Pas un instant la responsabilité politique ne fut abordée par nos ministres. Seulement l'action de l'AFSCA. Denis Ducarme s'est contenté de réfuter toute faute de l'administration et d'incriminer l'administration des Pays-Bas. Maggie De Block, elle, a dépassé toute mesure de l'indécence politique par ses déclarations dont voici un petit florilège :
- "Un oeuf n'est pas contaminé si le fipronil est sous la norme" (quelle norme ? Nous ne le saurons jamais)
- "Le numéro vert avec 11 opératrices a été un grand succès" (numéro créé le jour même)
- "Des oeufs datant de deux mois ? Je les jetterais. Pas pour le fipronil mais pour la salmonelle" (la question des oeufs consommés par la population ces derniers mois est ainsi évacuée par une indigne pirouette)
- "J'aimerais savoir quel enfant de huit ou neuf mois mange deux oeufs par jours ?" (no comment)
- "Vous ne comprenez rien aux normes !" (adresse aux parlementaires l'interrogeant sur les valeurs présentées comme normatives par l'AFSCA et ne correspondant pas à la réglementation européenne)
De cette audition au parlement belge, ressortent trois évidences. Notre gouvernement ne voit aucune motivation à critique. Qu'il y ait ou non matière à critique, aucun ministre ne s'estime de toute manière responsable politiquement de l'action de l'administration. Enfin, que le gouvernement n'ait été informé de l'affaire que le 27 juillet, avec deux mois de retard, leur paraît normal. Nos ministres sont donc irresponsables. Et ils trouvent cela normal.
A cela, doivent être rajoutés d'autres faits. Dans le contexte de politique d'austérité budgétaire, les moyens financiers de l'AFSCA ont été réduits de 11% ces seules deux dernières années. Les contrôles financiers des entreprises ont été largement allégés pour les mêmes raisons. Le dosage du fipronil n'est pas la règle sous prétexte qu'il est "de toute façon interdit". La première (et seule jusqu'ici) intervention publique de notre premier ministre Charles Michel ne concernât pas la santé publique, la communication envers la population ou nos partenaires mais... à "établir une Task Force pour soutenir économiquement notre secteur aviaire".
Les nouvelles accusations lancée par Denis Ducarme à l'encontre de l'administration néerlandaise ne permettent pas de se faire encore une idée sur le degré de responsabilité ou d'irresponsabilité du gouvernement néerlandais.
Le scandale
Tout commence pour le public fin juillet 2017 quand les autorités allemandes et néerlandaises informent la presse de la présence d'oeufs contaminés à un pesticide, le fipronil, dans leurs commerces. Plusieurs centaines de milliers d'oeufs y sont rappelés, plusieurs élevages sont fermés et l'émoi est immense. Il reste cependant cantonné à ces pays. Le 4 août, le ministre allemand de l'agriculture, Christian Schmidt, dénonce publiquement un "frelatage criminel" et exige de la Belgique et des Pays-Bas qu'ils "élucident ce dossier rapidement et minutieusement. Ils en ont l’obligation". Le ton est ferme. Autoritaire. Accusateur. Inhabituellement dans nos relations. A cette heure, l'Allemagne apparaît comme massivement touchée, se fournissant principalement auprès d'éleveurs néerlandais pour ses importations d'oeufs. Le scandale fait déjà la une de tous les journaux outre-Rhin. La Belgique est particulièrement en ligne de mire de la colère germanique.
C'est à ce moment que la nouvelle se répand dans la presse belge et que notre population prend connaissance des faits. Pour la première fois notre agence fédérale de santé, l'AFSCA, communique. Pour signifier que, concernant la Belgique, aucun risque sanitaire n'est à craindre et qu'aucune mesure particulière ne sera prise. Elle admet être au courant de l'affaire depuis deux mois mais justifie son silence par le fait que cette contamination a des implications judiciaires et qu'elle était tenue au secret de l'instruction. Le gouvernement belge reste muet. A cette heure, les autorités néerlandaises semblent principalement concernées par l'impact économique de l'affaire sur son secteur agricole. Les autorités allemandes, elles, semblent se préoccuper de son impact potentiel sur la santé de sa population. Les autorités belges ne semblent pour leur part préoccupées... par rien.
On apprendra par la suite que le gouvernement allemand a dès lors fait une demande d'étude de risque à son agence de santé, la BfR. Cette étude, dont l'intitulé même, "Health assessment of individual measurements of fipronil levels detected in foods of animal origin in Belgium", est lourde de sens politique. Elle conclu, selon des considérations très discutables et dont les prémisses s'avèreront inexacts (i.e. le fait qu'il s'agisse d'une exposition aiguë) à un risque pour la santé publique nul si les taux de fipronil dans les oeufs contaminés se situent en dessous de 0,72 mg/kg. Ce chiffre, bien plus élevé que les MRL établis par l'OMS et l'UE n'a aucune antériorité. Malgré cet avis, le gouvernement allemand maintien sa décision de faire retirer tous les oeufs contaminés, déjà plusieurs millions, de la vente.
Durant le week end du 5 au 6 août, aucune information supplémentaire n'est fournie par les autorités belges. La presse du Royaume prend cependant connaissance d'informations venues des Pays-Bas et d'Allemagne. Il apparaît que l'AFSCA avait connaissance de la contamination depuis début juin, n'a enclenché le système d'alerte européen avertissant les autorités néerlandaises que le 21 juillet. L'Allemagne affirmant quant-à-elle n'avoir été informée encore qu'une semaine plus tard via... les autorités des Pays-Bas. Il apparaît également que des élevages belges sont également contaminés. Enfin, un fournisseur belge, "Poultry-Vision", et une entreprise de services néerlandaise, "ChickFriend", spécialisée dans le traitement des "poux rouges" sont désignés comme responsables.
L'AFSCA confirme une partie de ces informations. Mais refuse toujours de fournir ses données et maintien que le risque est inexistant et ne nécessite aucune mesure sanitaire dans le pays. En guise de justification, nous est pour la première fois fourni publiquement le chiffre de 0,72 mg/kg, présenté comme le "seuil européen de sécurité" et repris ensuite par la presse internationale. Il nous est affirmé qu'aucune analyse ne dépasse ce seuil en Belgique. Aucune mention de ce chiffre n'apparaît cependant dans les publications des autorités européennes. Seul est retrouvé le seuil de 0,005 mg/kg. La Commission Européenne affirme alors dans un communiqué "suivre attentivement l'affaire" pour tout commentaire. En outre, d'autres informations se font jour. La firme belge de distribution Colruyt admet ainsi avoir eu l'information... et retiré de sa propre initiative "tous les lots provenant de deux fournisseurs" dès la fin juillet.
L'affaire commence également à prendre une ampleur internationale. La Suède estime que "un lot" d'oeufs contaminés serait parvenu sur son territoire. La France évacue d'abord le problème en affirmant n'être pas touchée. Le Royaume-Uni admet avoir importé des oeufs contaminés. Les autorités britanniques font part alors d'une étonnante - ou honnête ? - impuissance. Elles s'estiment incapables de rappeler tous les produits contaminés. "Produits" et non pas "oeufs". Car pour la première fois une autorité évoque une évidence : sont également concernés tous les produits dérivés à base d'oeufs (mayonnaises, biscuits et pâtisseries, pâtes,...). Mais tous se veulent rassurant quant au risque sanitaire. Le chiffre de 0,72 mg/kg est repris partout et présenté comme une preuve d'innocuité. Alors même que de toute façon aucun chiffre d'analyse n'est encore rendu public...
Ces nouvelles données conduisent les partis d'opposition et les associations de protection des consommateurs belges a exiger plus de renseignements, particulièrement à l'égard du fameux "seuil de sécurité européen". Malgré le feu de critiques pour son inaction et ses défauts de communications, l'AFSCA maintint sa position. Des toxicologues universitaires furent mobilisés pour répondre aux questions des médias... ne générant qu'encore plus d'incertitude. Un toxicologue de l'Université Catholique de Louvain expliqua sur un ton très sérieux dans les médias francophones qu'au vu des données publiques, aucun risque sanitaire n'était à craindre à moins de "manger 10.000 oeufs au cours d'un repas". Son homologue néerlandophone de la KU Leuven s'est voulu tout aussi rassurant au micro de VTM... avant de revenir sur son avis le soir même, avouant qu'en l'état aucune conclusion ne saurait être tirée en matière de santé publique. Toujours aucune communication du gouvernement. L'opposition politique belge exigea à cet instant du scandale la tenue d'une commission parlementaire mixte agriculture-économie et la comparution des ministres concernés devant celle-ci. Le ministre de l'agriculture concerné, Willy Borsus, fraîchement changé de fonction ne cru pas opportun de répondre, à l'instar du ministre de la protection des consommateurs. La ministre libérale de la santé Maggie De Block et le tout nouveau ministre libéral de l'agriculture, Denis Ducarme, s'engagèrent pour leur part à comparaître devant le Parlement, sans autre commentaire.
L'AFSCA publia alors pour la première fois le 8 août une série de neufs (puis dix) numéros de lots d'oeufs d'élevages belges "potentiellement contaminés", invitant les consommateurs à les rapporter en magasin le cas échéant tout en maintenant son avis quant à leur innocuité en matière de santé. Le 9 août, une liste corrigée fut publiée, un numéro de série étant erroné. A noter qu'on apprendra le 11 août que cette liste fut déterminée de par une contre-expertise d'un laboratoire indépendant établissant des taux largement supérieurs à tout seuil jusqu'ici mentionné pour certaines analyse. Ce même 11 août l'AFSCA retira son appel à ramener 9 des 10 lots concernés, expliquant que leurs taux en fiponil étaient "sous le seuil de sécurité"... pour rassurer d'hypothétiques consommateurs ayant gardé en stock ces oeufs vendus plus d'une semaine auparavant semble-t-il...
Le 9 août se tient la commission parlementaire belge en séance publique. Y comparaissent l'administrateur délégué de l'AFSCA et les ministres fédéraux de la santé et de l'agriculture, qui jusqu'ici ne se sont pas encore publiquement exprimés. Aucune nouvelle information ne fut founie par ceux-ci. L'administrateur délégué de l'AFSCA se contentant de défendre l'action de son organisme et de réitérer l'absence totale de répercussion pour la santé. La ministre de la santé allat dans le même sens, jusqu'à répondre aux parlementaires "Vous ne comprenez rien aux normes !". Le ministre de l'agriculture, lui rejeta tous les manquements évoqués sur les Pays-Bas, affirmant que la NSWF avait connaissance de la contamination depuis décembre 2016. Il ne fut pas relevé la contradiction entre le fait que l'exposition soit toujours présentée comme "aiguë"... et qu'un ministre affirme qu'elle était en cous depuis au moins 8 mois. Des députés membres de la commission opposèrent par contre plusieurs documents aux ministres. Le premier étant une facture attestant d'un achat de 3.000 litres de fipronil par un certain "Patrick R" (le gérant de Poultry-Vision, cf infra) datée de mai 2016. Le second d'importance est un rapport de l'AFSCA attestant que dès le 2 juin un échantillon d'oeufs belges était connu comme présentant un taux en fipronil supérieur à 1,2 mg/kg (= 1,2 ppm). Soit supérieur au seuil présenté, sans evidence, comme sûr et non dépassé jusqu'ici. Pire. Ce document atteste du fait que cette découverte fut... purement fortuite. Elle n'est en effet pas due à la diligence de l'une ou l'autre des agences de santé publique. Non. Elle n'est due qu'au fait qu'un éleveur a changé de laboratoire "d'auto-contrôle" (ces analyses ne sont pas réalisées par des agences publiques, il est laissé le soin aux éleveurs privés de "s'auto-contrôler" en faisant appel à des laboratoires privés). Contrairement à son précédent laboratoire, et à la quasi totalité des laboratoires opérant sur le secteur (selon l'AFSCA, le dosage du fipronil n'est pas obligatoire puisque ce produit est... interdit. Donc présupposé inexistant), celui-ci dosait le fipronil. Le premier "auto-contrôle" réalisé par ce laboratoire s'avère d'emblée positif et à des taux très importants.
Au cours de la semaine suivante, le discours gouvernemental restera le même, contre toute évidence : il n'y a aucun danger pour la santé publique. L'AFSCA, tout en précisant que ces oeufs ne posent aucun problème de santé, publie une liste de neuf numéro de série d'oeufs que les acheteurs sont "invités" à rapporter à leur vendeur. Sans autre explication. Fin de la semaine, le premier ministre Charles Michel intervient pour la première fois. Pour organiser une commission gouvernementale chargée de soutenir financièrement les éleveurs à l'aide de fonds publics. De santé, du public, du consommateur, il n'en fut pas question. A cette heure, Charles Michel n'a toujours pas eu un mot pour le consommateur ou touchant à la santé publique.
Dans le même temps, le scandale prenait une toute autre ampleur. La liste des pays dont les éleveurs ont utilisé du fipronil belge ou importé des oeufs contaminés s'allongeat rapidement : Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Suède, Royaume-Uni, France, Suisse, Autriche, Irlande, Italie, Luxembourg, Pologne, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, Danemark,... et même la Chine au travers de la région spéciale de Hong-Kong.
EDIT : en 2021, le tribunal correctionnel d'Anvers a rendu son jugement sur le volet belge de l'affaire. Patrick Remijsen a été condamné à 3 ans de prison dont un ferme (qu'il effectuera sous bracelet électronique grâce aux aménagements de peine habituels pour les délits financiers) et une amende de 20.000€ avec sursis. Deux de ses complices ont été condamnés à des peines entièrement avec sursis. Ils ont cependant également été condamnés à verser 22,6 millions € aux parties civiles (éleveurs, AFSCA et Ovam).
Quelles conséquences ?
Le risque sanitaire
Il est probablement marginal au regard des autres polluants environnementaux. Probablement. Car impossible à estimer. Pour plusieurs raisons :
- L'établissement de normes en la matière ne défini qu'un seuil de sûreté. Au delà, l'impact sanitaire demeure incertain.
- Le flou concernant les "normes" communiquées par l'AFSCA ne correspondant à aucune norme, tant européenne qu'internationale, documentée. Jusqu'à preuve du contraire il demeure estimé de 0,005 mg/kg (UE) à 0,02 mg/kg (OMS). La "norme" de 0,72 mg/kg présentée par l'AFSCA demeure pour le moins douteuse faute de plus d'information.
- Il est de toutes les manières établi que même ce seuil de 0,72 mg/kg a été dépassé.
- Nous ne connaissons pas la durée d'exposition au toxique. Présentée au départ comme aiguë, il apparaît aujourd'hui établi que des oeufs contaminés (et tous leurs produits dérivés) circulent depuis au moins plusieurs mois. Certaines données suggèrent fortement qu'il en est ainsi même depuis plusieurs années. Or, une exposition chronique à un toxique a de toutes autres conséquences qu'une exposition aiguë.
En l'état, il semble que le "principe de précaution" apparaisse pour nos autorités comme inexistant.
Les conséquences économiques
Elles apparaissent comme majeures, déjà estimées à plusieurs centaines de millions d'euros. On peut notamment répertorier :
- Le coût de la destruction des poules et produits dérivés contaminés (d'ores et déjà plusieurs millions de poules et oeufs)
- Le coût des procédures administratives et judiciaires
- L'impact psychologique chez les consommateurs se manifestant déjà par une chute de la consommation
- L'augmentation des prix de ces denrées sur les marchés (la diminution de la consommation n'est pas proportionnée à la diminution de l'offre induite par les destructions ordonnées) pour le consommateur
- L'impact sur le secteur agro-alimentaire qui dépassera, pour diverses raisons, de loin le coût des destructions sus-mentionnées
Ces conséquences économiques devraient logiquement être assumées par les acteurs privés ayant commis les fraudes. Cependant, rien n'est moins sûr. Les procédures judiciaires viennent de débuter et leur issue est très incertaine. Sans surprise donc, les fédérations d'éleveurs ne se sont pas portées parties civiles contre les entrepreneurs véreux. Non. Elles ont déposé des demandes "d'indemnisation" auprès de l'Etat. "Indemnisations" publiques que notre ministre Daniel Ducarme a déjà déclaré vouloir assumer. C'est donc en première intention le contribuable (donc via l'IPP, principalement le travailleur) seul qui règlera la facture. Sans garantie aucune d'être un jour remboursé...
Alors que les enquêtes sanitaires progressent, il s'avère dès aujourd'hui qu'une quinzaine de pays européens... et la Chine ont importé des oeufs contaminés. De plusieurs centaines de millions d'euros, le coût économique de cette affaire devra probablement être réévalué à plusieurs milliards d'euros...
Vers une révolution paradigmatique ?
L'un des principaux enseignements de cette fraude est qu'elle n'a été révélée que... fortuitement. Par hasard. Sa mise en évidence n'est due qu'au fait qu'un des éleveurs concernés aie changé de laboratoire d'auto-contrôle. Que contrairement à ses pairs, ce laboratoire incluait le fipronil parmi ses recherches analytiques. Comme il a été mentionné, selon l'AFSCA, rien n'oblige les laboratoires à rechercher cette substance au motif... qu'elle est de toute façon interdite !
Bien sûr, comme le soulignait très justement le doyen de la faculté de pharmacie de l'ULB, "il est impossible de tout voir tout le temps". Ceci devrait néanmoins poser plusieurs questions aux pouvoirs publics. La remise en cause d'un système économique au sein duquel les acteurs privés agissent de façon essentiellement dérégulée. La remise en cause du fonctionnement d'un éco-système agro-alimentaire européen en faillite, survivant à coups de subsides et restructuré selon des impératifs purement comptables au mépris de toute autre considération. La remise en cause d'un système aberrant de normes légales non contrôlées. "Devrait"...
EDIT : 7 ans plus tard, il s'avère qu'aucun enseignement n'a été tiré de cette affaire quant à la régulation du secteur et au fonctionnement de l'AFSCA.
Les conséquences politiques
Elles restent à déterminer. Aux Pays-Bas, la question ne va que commencer à se poser.
En Belgique, elles sont potentiellement immenses. Mais, comme déjà mentionné, la population y est anesthésiée par une succession de scandales politico-financiers récents. La confiance envers la classe politique y était déjà au plus bas historique. La majeure partie de la population face à ce nouveau scandale est outrée... mais résignée. Par ailleurs, nos familles de politiciens ont déjà à maintes reprises fait démonstration de leur inamovibilité.
Un fait apparaît cependant nouveau dans cette énième affaire : sa portée internationale. L'incurie de nos dirigeants a aujourd'hui des conséquences internationales majeures. Déjà la très puissante Allemagne a fait part publiquement de sa colère à notre endroit au travers des déclarations de son ministre de l'agriculture. Aujourd'hui, une quinzaine de pays européens découvrent qu'ils sont également concernées... Et la Chine elle même s'avère touchée, au travers de livraisons d'oeufs belges contaminés à Hong-Kong. Si l'affaire s'étend encore, le maintien de notre gouvernement fédéral risque de devenir très incertain... En ce sens, ce qui n'était qu'un scandale sanitaire créé par l'avidité de quelques entrepreneurs est devenu... un énième scandale d'Etat.
EDIT : L'affaire n'a eu finalement aucune conséquence pour les principaux responsables politiques. Charles Michel s'est envolé à la présidence du Conseil Européen, Willy Borsus poursuit sans heurt sa carrière et est actuellement vice-président du gouvernement wallon, Maggie De Block est demeurée ministre de la santé jusqu'à ce que sa mauvaise gestion du début de la crise covid mette fin à sa carrière politique, Denis Ducarme est demeuré ministre mais ses accumulations de gaffes l'ont renvoyé quelques années plus tard au rang de "simple" député.
Auteur(s)
Dr Shanan Khairi, MD