De la vie privée des soignants
Ce 5 juillet 2018, je découvrais avec incrédulité que deux des plus importants organismes assureurs de Belgique, les mutualités libres Partena et l'alliance des mutualités chrétiennes, avaient rendu public des informations confidentielles de tous les prestataires de soins du pays. Au delà d'éventuelles sanctions, des questions se posent. Des questions qui doivent impérativement se voir apporter des réponses.
Partena a en effet, depuis une date indéterminée, mis à disposition du public sur son site internet un moteur de recherche des "prestataires de soins" belges (comprenant tout titulaire d'un numéro d'identification INAMI : médecins, infirmiers, pharmaciens, bandagistes,..) livrant en guise d'adresse le détail de l'adresse privée de tous les prestataires du pays. Sans autorisation préalable aucune des personnes concernées. Ceci est tout à fait illégal au regard de la législation belge et européenne protégeant la vie privée.
De façon plus marginale, mais tout aussi illégale, les mutualités chrétiennes ont mis sur leur site un moteur de recherche similaire révélant le code postal et la commune des mêmes adresses privées, ici sans précision de rue et de numéro, de la plupart des prestataires de soins. Cependant, certains prestataires nous ont alerté sur le fait, captures d'écran à l'appui, que leurs adresses privées complètes (rues et numéro compris) y étaient renseignés. Cette différence de degré dans la violation de la vie privée des prestataires de soins semble totalement arbitraire.
Mis au courant, de nombreux confrères se sont joints à moi pour exiger de ces mutualités le retrait immédiat et sans condition de nos données personnelles sous réserve d'éventuelles poursuites judiciaires. Le Conseil de l'Ordre des médecins et l'INAMI (institut national de maladie-invalidité) ont par ailleurs été informés de cette situation.
Les mutualités Partena n'ont pas encore répondu à ce jour. Mais dès le 6 juillet 2018 à 13 heures, leur "moteur de recherche" a purement et simplement "disparu" de leur site ainsi que toute référence à celui-ci.
Le 13 juillet 2018, l'alliance des mutualités chrétiennes a réagi à son tour en "suspendant" sont moteur de recherche "pour mieux servir" ses clients.
Ces informations privées, rendues publiques sans autorisation, par ces organismes assureurs leur ont été fournies par l'INAMI. Cependant, ces informations sont données à l'INAMI par les prestataires à la condition qu'elles ne soient utilisées que dans un cadre strictement professionnel. Et dans nos rapports avec l'INAMI. Quelles soient fournies aux mutualités, qui n'ont en aucun cas à nous contacter à nos résidences privées, est déjà discutable tant sur le plan moral que pénal. Que ces mutualités les rendent publiques est aussi intolérable qu'irresponsable.
Les mutualités n'ont-elles pas connaissance que des prestataires de soins sont parfois agressés à leur domicile par des patients mécontents, en délire, désireux de se procurer des substances illicites,... ? Qu'un de mes confrères bruxellois a il y a deux ans été admis aux soins intensifs suite à une telle agression et en garde de lourdes séquelles ? Les adresses privées sont privées. Et il doit en rester ainsi.
Qui plus est, ce "service" de recherche offert par les mutualités aux patients n'a aucune utilité pour ces derniers. Tout d'abord, quel intérêt légitime pour un patient de connaître l'adresse privée de son médecin ? Aucun. Ensuite, l'INAMI propose déjà sur son site web son propre moteur de recherche de prestataire, mais qui, lui, donne les adresses professionnelles des prestataires.
Il s'agit maintenant d'obtenir de Partena, des mutualités chrétiennes et de l'INAMI non seulement l'assurance qu'aucune récidive ne surviendra mais également des explications. Cette mise en ligne de nos informations privées était-t-elle volontaire, reflétant alors un total mépris à notre égard, ou non, reflétant alors une "simple" incompétence teintée de désinvolture ? Résulte-t-elle de l'incompétence d'une personne ou d'un service tout entier ? L'INAMI était-il au courant ? Pourquoi même l'INAMI fournit-il nos données privées aux organismes assureurs ?
Les soignants ont droit à une vie privée. Les soignants sont protégés de la même manière que tout citoyen par la loi. En réalité, ils le sont même plus étant donné leur mission d'intérêt public et la vulnérabilité inhérente à leurs conditions d'exercice. Il semble que, à l'image du droit du travail quotidiennement bafoué concernant l'exercice des médecins, celà doit être rappelé encore et toujours à des organismes publics et privés qui nous traitent avec une inqualifiable légèreté.
Auteur(s)
Dr Shanan Khairi, MD
Juillet 2018