Bruxelles chasse-misère
Comme toutes les grandes villes européennes ces dix dernières années, Bruxelles voit le nombre de ses citoyens devenant sans-abris augmenter. Ainsi, selon les recensements du centre La Strada, plus de 2600 Bruxellois étaient SDF en 2014, soit une hausse de 33% depuis 2010.
Faute de politique efficace visant à réduire la grande pauvreté ou à assurer sa prise en charge adéquate, les autorités publiques ont peu à peu mis en place ou soutenu divers moyens, visant (en vain) à les refouler des lieux par trop fréquentés (transports aux heures de pointe, proximité des zones commerciales, zone touristique, grands boulevards,...) et à empêcher toute "installation durable", dépassant de loin le cas du Delhaize d'Ixelles qui avait défrayé les chroniques.
Il est désormais question pour les politiques non pas de limiter l'extension de la misère ou de réinsertion mais d'en limiter la visibilité. Ca n'est pas la misère qui leur est insupportable. C'est le sentiment de malaise et d'insécurité qu'induit son exposition chez l'électeur. C'est son odeur. C'est son caractère inesthétique. C'est la mendicité.
Faute de temps, il n'est pas question ici de prétendre au recensement exhaustif de toutes les initiatives anti-SDF ayant transformé notre ville. Seulement de mettre en évidence leur diversité, leur caractère organisé et leur coût.
L'expulsion des gares et stations de métro
Les entrées et certains couloirs des stations de métro et des trois principales gares (gare centrale, gare du nord, gare du midi) bruxelloises sont devenues au cours des années nonantes des refuges de fortune pour les sans-abris. Bruyants, certes, mais chauds.
Pour nos autorités, se rajoute ici une autre problématique : ces gares sont une vitrine de la ville aux voyageurs internationaux. L'homme d'affaire sortant du Thalys à Midi et croisant des rangées de matelas sur les quelques dizaines de mètres le séparant de son taxi se voyait offrir une image de notre ville peu reluisante. Bien qu'exacte.
Hors "période de grand froid" hivernale, les opérations de police visant à épargner cette image à notre homme d'affaire se sont donc multipliées.
L'exclusion des recoins servant d'abris
La bruxellisation erratique a généré nombre de recoins susceptibles d'offrir une nuit à l'abri des intempéries. Au centre-ville, ceux-ci sont systématiquement exclus de l'espace public de manière à peine déguisée...
La rue des Augustins (Bruxelles 1000) offrait plusieurs recoins sans utilité où les SDF avaient l'habitude de poser un matelas pour la nuit | Les autorités en ont barré l'accès par des grilles |
La rue de l'Evêque (Bruxelles 1000) offrait plusieurs recoins sans utilité où les SDF avaient l'habitude de poser un matelas pour la nuit | Les autorités en ont barré l'accès par des grilles |
Depuis plusieurs années, des sans abris s'installent régulièrement dans les portes d'Anderlecht (Bruxelles 1000) et en sont systématiquement délogées. En septembre 2015, deux familles de SDF se sont installées dans les portes d'Anderlecht avec leurs enfants. En octobre, les autorités de la ville de Bruxelles les en ont délogées et ont fermé les portes par des grilles.
De même, les autorités communales d'Auderghem (Bruxelles 1160) ont délogé en 2015 plusieurs familles de sans abris des espaces couverts du viaduc Hermann Debroux avant d'en grillager l'accès.
Le recours aux services d'urgence
Outre les cas nécessitant une réelle prise en charge médicale ou ceux se présentant spontanément pour divers motifs, il devient banal pour les urgentistes des hôpitaux et cliniques du réseau IRIS de se voir référer des sans-abris directement ou indirectement par les services de police sans aucun motif médical, parce qu'ils gênent dans l'espace public, faute de services sociaux adéquats. Certains services peuvent leur permettre de passer le reste de la nuit sur un brancard, d'autres, faute de moyens, se contentent de leur offrir quelques tartines...
Dans tous les cas de figure, il s'agit d'un pis aller aussi inefficace (un hôpital n'est pas un centre d'hébergement social et ne dispose d'aucun moyen permettant d'assurer une quelconque réinsertion) que surchargeant des services (enregistrement, tri infirmier, examen médical, rédaction des rapports) dont ce n'est pas la mission. Dans les pires des cas, cela provoque des incidents iatrogènes (tels que la précipitation d'un Wernicke ou d'un béribéri par la pose de perfusions sans supplémentation vitaminique adéquate).
La transformation des façades
Les modifications de façades visant à empêcher l'installation des SDF ou mendiants tendent à se multiplier, parfois discrètes, parfois tellement laides ou évidentes qu'elles choquent les riverains. Selon les cas, elles prennent l'aspect de décorations extérieures, de plans inclinés, de poteaux, de piques,...
Le Delhaize d'Ixelles (Bruxelles 1050) avant et après l'installation de plans inclinés visant à empêcher l'installation de sans-abris |
La disparition des bancs de la STIB
La société bruxelloise de transports en commun a procédé progressivement au remplacement de ses bancs par des sièges rendant impossible toute position couchée... allant jusqu'à développer des "sièges" inconfortables pour ses usagers voire tout simplement impropres même à la position assise !
Auteur(s)
Dr Shanan Khairi, MD